Un personnage de roman est un homme, une femme ou un enfant. C’est un être vivant qui respire, ressent, s’exprime et agit. Bien sûr, il est fictif. Évidemment, nous l’avons inventés de A à Z pour les besoins d’une histoire, mais ce n’est pas ce que nous voulons que le lecteur pense quand il sera plongé dans notre livre. Nous voulons qu’il y croit.
Nous voulons que les lecteurs oublient, l’espace d’un instant, qu’ils sont en train de lire une fiction et nous voulons qu’il respire, ressente, s’exprime et agisse par procuration au travers du personnage de roman comme s’il était réel.
Pour caractériser ces personnages, Orson Scott Card, dans son ouvrage « Personnages et Point de vue » nous propose donc de les définir de la même manière que nous caractérisons les personnes réelles, familières ou étrangères, qui croisent nos chemins au cours de nos vraies vies.
Pour cela, il nous propose de les définir au travers des dix prismes à travers lesquels toute personne normalement constituée apprend à en connaître une autre. Je vous les donne par ordre d’importance décroissante.
1 — Les actes
Un inconnu ivre, empestant l’alcool, vient vous aborder sans sommation alors que vous êtes en train de boire tranquillement un verre avec des amis, dans un bar. Il s’appuie sur votre épaule et parle fort en postillonnant, directement dans votre oreille.
En pleine crise de couple, vous vous confiez, sous le sceau du secret, à une collègue de confiance pour vous soulager. Peu de temps après, vous vous rendez compte que cette personne a répété votre confidence à votre chef de service.
Les actes d’une personne nous suffisent très souvent à la caractériser et à la catégoriser. Une personne ivre est un alcoolique, un homme qui subtilise un produit dans un magasin est un voleur, une collègue qui raconte votre secret est une traîtresse ou une commère.
« Il s’agit de la manière la plus forte et la plus irrésistible de caractériser un personnage »
Prenez les films de James Bond. Si vous n’en avez jamais vu un auparavant, vous n’avez qu’à regarder la traditionnelle scène d’ouverture, avant le générique, pour savoir que Bond est intrépide, plein de ressources, doté d’un certain sens de l’humour et très porté sur la gent féminine.
C’est une méthode facile et qui manque de subtilité quand elle se limite à cela, mais elle a le mérite d’être efficace, car la conclusion est évidente pour le lecteur.
Cependant, dans la vraie vie, un acte est toujours motivé par des raisons plus profondes, plus complexes que le simple fait d’agir ; et voir une personne commettre un acte ne veut pas dire la connaître réellement.
2 — La motivation
Dans le bar, le patron éconduit gentiment l’ivrogne qui vous a importuné et s’excuse pour lui. Il vous explique ensuite que cet homme vient de perdre sa femme dans un tragique accident de voiture, quatre jours plus tôt.
Vous allez voir votre collègue et vous la confrontez pour qu’elle justifie sa trahison. Elle vous explique qu’elle a abordé le sujet avec votre chef afin qu’il réduise votre charge de travail. Vous pourrez donc passer plus de temps à la maison, avec votre conjoint, et essayer d’arranger les choses.
« La motivation confère une valeur morale aux actes d’un personnage »
Elle lui donne également plus de profondeur et de complexité. Connaître les intentions d’une personne permet souvent de comprendre que tout n’est pas blanc et que tout n’est pas noir. Le comportement de l’ivrogne et la trahison de la collègue vous paraissent soudain plus excusables maintenant que vous connaissez la douleur de l’un et les bonnes intentions de l’autre. Connaître leurs motivations a modifié votre perception.
Si, dans la vraie vie, on ne comprend jamais vraiment ce qui pousse les gens à agir, il est important de le savoir pour nos personnages fictifs.
Si nous lisons des romans, c’est aussi pour comprendre le comportement humain. Le personnage de roman ne doit pas nous laisser aussi perplexe que dans la vraie vie. Vous devez donc faire en sorte que les lecteurs le comprennent.
3 — Le passé
« Comprendre le passé d’une personne est fondamental pour comprendre ce qu’elle est aujourd’hui. »
Quand vous rencontrez une personne pour la première fois, vous la jaugez sur ce que vous voyez : son allure générale, son code vestimentaire, etc. Mais si vous apprenez des fragments de son passé, comme pour la motivation, vous allez aussitôt changer votre perception.
Vous trouverez sans doute cet homme charmant jusqu’à ce que vous appreniez qu’il trompe sa femme aussi souvent qu’il le peut.
Le SDF, assis au coin de la rue, gagnera sans doute votre sympathie si vous savez qu’il a eu une conduite héroïque pendant le dernier conflit armé.
Nous sommes nous-mêmes le fruit de nos actes passés, de nos réussites, de nos échecs, de ce dont nous sommes fiers et de ce dont nous nous sentons coupables.
Révéler le passé d’un personnage de roman permettra au lecteur de mieux comprendre son comportement au fil de l’histoire. Cela permet également de ne pas voir ce personnage « parachuté », nu comme un ver et vierge de tout passif, au début de votre récit.
4 — La réputation
Il est rarement agréable de se présenter à un inconnu et qu’il vous réponde « Ah ! On m’a beaucoup parlé de vous. » Cela nous rappelle que nous avons une réputation, que les gens parlent de nous quand nous ne sommes pas là, et pas toujours en bien.
Au travail, dans votre cercle d’amis, dans votre famille, sur les réseaux sociaux, les histoires circulent à votre sujet. Que vous le vouliez ou non, elles forgent votre réputation et votre image. Dans la bouche des autres, ce sont d’horribles ragots auxquels nous ne prenons jamais part (oh non, non, non !), mais nous y contribuons tous d’une manière ou d’une autre.
« Les réputations se font et se défont, et nous participons tous à ce petit jeu. »
Votre personnage de roman ne tombe pas du ciel. Il a fait des rencontres, commis des actes et s’est forgé une réputation avant d’entrer dans votre récit.
Vous pourrez donc le présenter à vos lecteurs à travers les dires des autres personnages. C’est un bon moyen pour qu’il apprenne à le connaître avant qu’il entre en scène. Cependant, en agissant ainsi, le lecteur s’attendra à un certain type de comportement de sa part. Il devra normalement coller à l’image de sa réputation.
Il est possible de déroger à cette règle (c’est même souvent le cas), mais il faudra alors justifier pourquoi cette réputation est injustifiée. Votre personnage est peut-être victime des langues de vipère. Il est peut-être un escroc qui sait très bien manipuler les gens. Il a peut-être commis une grave erreur, dans le passé, que son entourage ne peut pas lui pardonner.
5 — Les stéréotypes
Lorsque nous apercevons une personne étrangère à nos connaissances, nous le classons automatiquement dans une catégorie (jeune/vieux, grand/petit, riche/pauvre, inspire confiance/méfiance, etc.).
En associant une personne à un groupe, nous lui attribuons également les caractéristiques de ce groupe. C’est ce phénomène qui génère les préjugés et qui nous induit en erreur. Les préjugés ont très mauvaise réputation, et c’est une habitude dont nous aimerions tous nous débarrasser. Malheureusement, elle est profondément ancrée en nous, car il s’agit d’un comportement naturel que l’on retrouve dans le monde animal et qui génère nos comportements (attaque, attirance sexuelle, peur, mépris, etc.). Heureusement nous avons plus de retenue que les animaux, c’est pourquoi nous essayons de le cacher, mais c’est néanmoins présent.
« Plus l’étranger nous ressemblera, moins nous aurons peur de lui et moins il nous intéressera. L’inverse est également vrai ».
Les lecteurs ont le même type de comportement. Ils auront tendance à faire confiance à un personnage de roman stéréotypé, familier, connu, mais ne le trouveront pas spécialement intéressant. A contrario, un personnage plus original piquera leur curiosité, mais inspirera de la méfiance. Le lecteur voudra alors connaître la suite de l’histoire, savoir ce que ce personnage va faire pour confirmer ou infirmer ses craintes.
Vous avez la possibilité de jouer avec les stéréotypes pour installer soit une relation de confiance avec le lecteur, soit la surprise et l’intérêt en allant à contresens. Il vaut donc mieux maîtriser les différents types de stéréotypes pour savoir jongler avec :
Le métier
Le plombier s’occupe de tuyauterie avec le pantalon au ras des fesses (que quelqu’un leur achète des bretelles Bon Dieu ! 😉 ), les coiffeurs parlent beaucoup en travaillant, etc.
Le sexe
Les femmes adultes ont des formes plus rondes que les hommes, les tenues vestimentaires sont très différentes, les hommes ont des coiffures moins élaborées, etc.
L’âge
Les personnes âgées sont plus fragiles. Ils ont des troubles de l’audition, de la vue, de la mémoire. Les enfants sont agités, plus spontanés, etc.
Les relations familiales
Les mères sont intrusives, les adolescents rebelles, les frères se chamaillent, etc.
Les types raciaux ou religieux
La couleur de la peau, les préjugés racistes, la couleur de cheveux, les aptitudes (les noirs ont le sens du rythme, les juifs ont le sens des affaires, etc.)
Les traits ethniques
Les Italiens parlent avec les mains, les Marseillais ont l’accent qui chante, etc.
Jouer avec les stéréotypes est une prérogative de l’auteur, mais cela ne dure qu’un temps. Leur importance diminue à mesure que le lecteur apprend à connaître le personnage. Il vaut donc mieux ne pas tout miser là-dessus.
6 — Le réseau
« Nous adoptons des comportements différents selon le cercle dans lequel nous évoluons. »
Quand ma fille de 14 ans est à la maison, elle agit différemment que lorsqu’elle est avec ses copines du collège, ou sa mère, ou ses grands-parents, ou ses profs. Ce n’est pas de l’hypocrisie, car ce changement est inconscient, mais nous en sommes tous victimes.
Pour s’en apercevoir, il suffit bien souvent de voir une personne plongée dans un milieu qui parle au téléphone à une personne appartenant à un autre milieu. Le ton, le vocabulaire, l’expression corporelle… tout change.
Il peut souvent être intéressant de placer un personnage de roman dans un milieu très différent de ce qu’il connaît habituellement. Cela permet de développer des facettes de sa personnalité qu’il ignorait probablement lui-même.
Il s’agit d’un ressort comique très utilisé dans des scénarios comme « La vérité si je mens », « Bienvenue chez les Ch’tis », car il permet de créer un décalage immédiat et des situations cocasses, mais il n’est pas réservé à la comédie.
7 — Les habitudes et manies
« Les habitudes et les manies d’une personne sont révélatrices — surtout quand elles nous tapent sur les nerfs. »
Se ronger les ongles. Pianoter du bout des doigts sur la table. Mâcher du chewing-gum. Gribouiller sur un calepin en téléphonant…
Les habitudes font partie de nos traits de caractère. On sait rarement pourquoi nous les avons, mais on sait généralement dans quelles circonstances elles se manifestent.
Chez un personnage de roman, elles ont l’avantage de le rendre plus réaliste et elles ont un côté pratique : un changement dans ces habitudes peut être la conséquence d’un changement dans sa vie, d’un retournement de situation ou d’un coup de théâtre.
8 — Les talents et aptitudes
« Une personne peut nous sembler ordinaire et inintéressante jusqu’à ce que nous la voyions jouer du piano. »
Que le talent en question consiste à inventer des circuits électroniques ou savoir faire bouger ses oreilles indépendamment l’une de l’autre, il peut vite devenir la caractéristique principale d’un personnage. C’est un procédé souvent utilisé dans la fantasy (don surnaturel du personnage) et que j’ai utilisé moi-même dans « Charlie et le magicien invisible ».
Un talent n’a pas besoin d’être surnaturel pour constituer un élément vital. Superman peut bondir au-dessus des immeubles, mais un « simple » don pour la musique, le dessin, la bagarre… peut suffire à caractériser un personnage de façon concrète.
9 — Les goûts et préférences
« Nos goûts sont le reflet de ce que nous sommes. »
Si vous avez été, comme moi, élevé au biberon de « La Cité de la peur », vous tendez également l’oreille dès qu’une personne cite (même par inadvertance) une réplique de ce film culte. Partager ce goût ou cette préférence crée instantanément une relation entre cette personne et moi. Cela ne me suffit pas pour que je lui confie mes enfants, mais un lien est néanmoins créé.
On ne peut pas savoir qui est vraiment une personne en sachant quel est son film préféré, mais dans le cas d’un personnage de roman cela permet aux lecteurs de s’attacher à lui.
10 — Le physique
« L’apparence physique compte beaucoup quand on fait la connaissance de quelqu’un. »
Une réflexion sur le physique du personnage est une étape indispensable pour un auteur. Une bonne forme physique ou un handicap influera énormément le comportement du personnage. Vous n’agissez pas de la même façon si vous êtes un cul-de-jatte au milieu d’une équipe de rugbymen ou si vous êtes un culturiste sur une plage de Miami au mois d’août. Le comportement de Tyrion Lannister aurait été très différent s’il avait été à l’image de son frère Jaime.
Pourtant, si l’étape est indispensable, elle est loin d’être suffisante. Il ne suffit pas de parler de cheveux aux reflets bruns et de beaux yeux noisette pour caractériser un personnage. Ce sont la motivation, le passé, la réputation, les habitudes, les talents et les goûts d’un personnage qui permettent aux lecteurs de le connaître. Pas la couleur de ses yeux.
Vous aurez compris qu’un bon personnage de roman n’est pas UN de ces composants, mais de tous. Tous ces ingrédients se mélangent en une pâte informe que vous devez ensuite modeler et sculpter.
« Gardez à l’esprit que ce qui caractérise le mieux et le plus efficacement une personne — et donc un personnage — ce sont d’abord ses actes, ce qui motive ces derniers, et son passé. »
Maintenant à vous de mettre en pratique. Pour cela, je vous offre un modèle de création de personnages qui s’appuie sur les 10 composants mentionnés dans cet article et sur le type d’histoire que vous écrivez. Vous saurez ainsi jusqu’à quel niveau de détail aller dans la caractérisation de vos personnages.
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13 Responses
Bonjour !
Oui, oui, très intéressé !
Merci beaucoup,
Pascal
ça tombe bien : je suis en train de créer mes personnages. Alors, oui, ça m’intéresse drôlement !
Un personnage est un élément essentiel de l’histoire, s’il sonne faux, c’est tout le scénario qui perd son intérêt. Je pense que ça pourrait être un bon exercice pour approfondir nos personnages et leur offrir le petit plus qui les rendra réellement crédible aux yeux du lecteur.
Très bon article comme toujours, bien utile. je me prêterai volontiers au teste de ce modèle spécial personnages:)
Merci pour ce commentaire. Oui, en effet, le personnage est central. Je ne sais plus qui a dit « Il y a de mauvaises histoires avec de bons personnages, mais il n’existe pas de bonnes histoires avec de mauvais personnages. »
Cet article est parfait. Et surtout, ce que vous venez d’ajouter dans les commentaires : il y a de mauvaises histoires avec de bons personnages… Bref, votre article y compris vos ebook sont un gros coup de pouce pour moi. Merci
Avec plaisir 🙂
Bonjour,
Les catégories sont très complètes, mais la mise en œuvre exhaustive paraît très longue. Un tel travail d’approfondissement se fera difficilement sur l’ensemble des personnages, mais plutôt sur les principaux (opposants inclus).
Je suis intéressé pour voir comment vous le formulez de façon pratique.
Merci à vous.
Je suis tout à fait d’accord. Ce procédé est trop lourd pour un personnage secondaire.
Super ! Je vais l’utiliser dès maintenant pour un projet que j’ai depuis quelques mois, mais que je n’arrivais pas à mettre en place.
Avec cette fiche de personnages, je vais pouvoir bien poser les fondations.
Ravi que cela puisse aider 🙂
Vous êtes , vous êtes ….. LE MEILLEURE, Merci
Gloups! Vous allez me faire rougir 🙂
Vous êtes , vous êtes ….. LE MEILLEURE, Merci, je vais faire une fiche a partie de cette liste