Est-ce que j’en ai fait assez ? Vous vous posez sans doute cette question lorsqu’il s’agit de la phase de construction de vos romans, surtout pour la création des personnages. Ai-je suffisamment préparé mon histoire ? Est-ce que je peux céder à l’envie de me lancer dans la phase d’écriture ou est-ce que je m’arrête trop tôt ?
La plupart des auteurs (pas tous) prennent plus de plaisir lors de la phase d’écriture que lors de sa préparation et sont pressés d’y arriver. Parce que c’est la partie considérée comme étant la plus créative, la plus « fun »… mais certains ont malgré tout le sentiment de devoir travailler cette phase de préparation et culpabilisent de ne pas la faire (ou pas assez).
C’est particulièrement vrai pour la construction des personnages. L’intrigue ou le tissage des scènes sont limités par le cadre de l’histoire, mais ce n’est pas le cas des protagonistes. De l’avis général (auquel je souscris), il est recommandé de construire et de préparer un nombre d’éléments supérieurs à celui qui sera exposé dans le roman.
Oui, mais alors… où est la limite ? Comment savoir si vous avez préparé et récolté suffisamment d’éléments pour que votre héros soit réaliste et doté d’une profondeur suffisante ? Ou au contraire, peut-être en avez vous trop fait ? Au point que votre roman devienne une liste à la Prévert sans intérêt pour le lecteur.
À la question « Quelle quantité de détails dois-je préparer pour mes personnages ? », la plupart des auteurs répondront que les caractéristiques d’un personnage doivent avant tout servir l’histoire et, là encore, je suis d’accord. Effectivement, si nous écrivons un livre, c’est avant tout pour raconter une histoire et non pour rédiger le descriptif de 300 pages d’une personne qui n’existe pas.
Mais, là encore, où se trouve la limite ? À quel moment je sers l’histoire et à quel moment je commence à la noyer sous un déluge de détails ?
Et bien tout dépend du facteur dominant de votre livre…
Sommaire
Le facteur dominant
Dans son livre « Personnages et point de vue », Orson Scott Card nous explique que, si la construction des personnages est un processus purement intellectuel, la vie que nous leur donnons au travers de nos écrits fait essentiellement appel à notre instinct. Il convient donc de prendre un minimum de recul en tenant compte du type d’histoire que nous écrivons.
Quand il parle de type d’histoire, il ne fait pas référence au genre (romance, science-fiction, fantasy, etc.) ou à la structure (pyramide de Freytag, structure en 3 actes, courbe fichtéenne, etc.). Ces différentes façons d’approcher une histoire n’ont pas d’impact sur la construction de leurs personnages. En revanche, il existe quatre facteurs qui sont présents dans toute la littérature, mais dans des proportions variables d’un livre à l’autre :
le milieu.
L’idée
Le personnage
Les événements
Ce sont les couleurs primaires à partir duquel le peintre pourra décliner toutes les nuances du spectre lumineux. Tous ces facteurs sont présents dans chaque livre, mais leurs importances respectives vont grandement influencer l’architecture de l’histoire et le rôle de ses personnages.
1 — Le milieu : Les voyages de Gulliver
Il désigne le monde dans lequel évoluent les personnages. Les paysages, la politique, la végétation, le climat, l’histoire, les relations sociales, les lois, etc.
En bref, tout ce qui est traité dans la discipline du worldbuilding qui a déjà été abordé sur ce blog.
(Lisez l’article : Créer un monde imaginaire avec le worldbuilding)
Peu importe où, votre histoire se déroule forcément quelque part. Que ce soit dans la terre du milieu, le cosmos, une mine de charbon ou la salle de classe d’un collège de province, vous définissez un décor et un cadre culturel.
Dans certains livres, ce milieu est flou, il manque cruellement de précision et de détails pour une très bonne raison : il a peu d’importance. Dans d’autres, il est essentiel, central, car il est au cœur du sujet du livre. Je ne trouve pas de meilleur exemple plus récent que les « Voyages de Gulliver » de Swift.
Dans ce roman, comme souvent ceux centrés sur le milieu, c’est le monde inventé et non le personnage qui est au centre de l’attention du lecteur. Le héros est un témoin étranger en terre inconnue. Sa vision doit être la plus proche possible de celle du lecteur pour qu’il puisse découvrir, à travers ses yeux, ce milieu exotique et ses différences avec le monde réel. Dans ce cadre, le personnage n’est « qu’un véhicule » qui a peu d’importance.
Le but est souvent de brosser un monde utopique ou dystopique que le lecteur pourra comparer à son monde réel en vue de dénoncer indirectement les injustices ou les comportements de la société.
Trop travailler, trop caractériser le personnage d’un livre comme celui-ci aurait pour conséquence de détourner l’attention du lecteur du milieu pour la porter sur le héros, et ce n’est pas ce que vous voulez. Il doit donc être le plus « normal » possible.
Si les « voyages de Gulliver » est le seul exemple que j’ai trouvé, c’est précisément parce que ce genre de livre est très rare (surtout de nos jours). La plupart du temps, le milieu est un élément développé, mais il n’est pas le seul. Les livres ont, à minima, une intrigue.
1bis — Le milieu : Le seigneur des anneaux
Lorsque c’est le cas, les personnages sont souvent natifs du monde inventé et leurs comportements et leurs mœurs sont des éléments supplémentaires à ajouter à la description du milieu. C’est leur lien avec le terroir local, leur exotisme qui les rend intéressants dans ce genre de roman et non leurs caractéristiques intrinsèques.
Le Seigneur des anneaux (et les livres de Fantasy en général) est un très bon exemple. Certes il y a des intrigues, mais elles sont simples. C’est bien la Terre du Milieu qui est au centre de l’œuvre de Tolkien. J’en veux pour preuve les longues descriptions de paysages, les explications à rallonge sur les mœurs des hobbits et les nombreuses chansons qui parsèment les trois volumes de bout en bout. C’est tout ce qui exalte les fans et décourage les autres.
Dans ce type de roman, il n’est pas nécessaire d’aller très loin dans la construction de ses personnages. De simples stéréotypes disposant de quelques traits particuliers suffisent pour faire avancer l’histoire.
Bien sûr, la fantasy n’est pas le seul genre qui peut se focaliser sur le milieu. Un roman traitant en profondeur du problème des banlieues pourrait rentrer dans ce cadre, les romans historiques ou les thrillers…
Pour le savoir, posez-vous la question : le contexte est-il plus important que les personnages ?
Si la réponse est oui, cela ne signifie pas que vous devez négliger vos personnages, mais il est inutile de leur donner trop de profondeur. Pour ce roman, c’est le milieu qui est important.
2 — L’idée : Hercule Poirot
Les histoires dont le facteur dominant est l’idée sont simples dans leur structure : on pose une question à laquelle il faut répondre.
Très souvent, la question est du genre « Qui a tué le docteur Lenoir ? » et la réponse arrive en fin de livre : « Le colonel Moutarde dans la cuisine avec le chandelier » 😉
Cela peut également être la mise en application d’un plan (le braquage d’une banque, l’assassinat du président, le vaisseau spatial tombe en panne, etc.) qui ne se déroule jamais comme prévu. Le héros doit alors improviser pour arriver à ses fins.
Les romans d’Agatha Christie sont caricaturaux de ce type d’histoire. La plupart des personnages ne sont définis que par le mobile présumé qu’ils avaient de tuer la victime. Hercule Poirot est un fin observateur très imbu de lui-même, mais il ne change jamais au cours du roman. Il n’y a que peu (voire aucune) évolution du personnage. Ces personnages immuables sont très pratiques lorsque l’on veut se lancer dans une série sans fin. Les fans peuvent alors retrouver leur personnage favori encore et encore.
Les personnages sont donc là pour représenter une idée. Pas besoin donc de s’interroger sur leurs motivations profondes et leurs besoins moraux. Hercule Poirot ou Sherlock Holmes sont des stéréotypes bourrés d’excentricité et cela fonctionne très bien.
3 — Le personnage : « Il faut qu’on parle de Kevin »
Vous l’aurez sans doute compris, ces histoires reposent entièrement sur ses personnages et leur évolution.
La loupe est braquée sur sa progression : d’où vient-il ? Où veut-il aller ? Que cherche-t-il à changer ? Pourquoi ? Va-t-il y arriver ?
Le point de départ est généralement le moment où le personnage réalise qu’il ne supporte plus un aspect de sa vie et qu’il fera tout pour en changer. Une femme battue, un employé harcelé, un chômeur en fin de droit ou une mère qui cherche à comprendre pourquoi son fils a commis l’irréparable.
Tout dans « Il faut qu’on parle de Kevin » de Lionel Shriver est axé sur l’évolution du personnage de la mère de Kevin, Eva, qui cherche à comprendre pourquoi son fils a volontairement commis un massacre dans son lycée. Il y a peu de rebondissements, car nous connaissons le dénouement dès le début du roman (le massacre) et le milieu est des plus banals (une petite ville américaine), mais le style épistolaire braque tous les projecteurs du lecteur sur le voyage psychologique d’Eva.
Inutile de préciser que, dans un livre ayant ce facteur dominant, la construction de votre personnage doit être en béton armé et renforcé en fibre de titane. C’est LE point à ne pas louper de votre récit. Si c’est le cas, le lecteur s’ennuiera si fort que vous l’entendrez ronfler dans les commentaires Amazon. 😉
En revanche, seuls le héros et les personnages absolument nécessaires à son développement (adversaires et alliés) devront être développés jusqu’au bout. Pas besoin de construire une fiche de lecture de dix pages pour le livreur de journaux si celui-ci ne fait que passer.
Le héros, son (ses) adversaire(s) et son (ses) allié(s) devront passer par des étapes d’évolution précises arrivants pour des raisons précises. Ne pensez pas qu’un état de départ et une révélation en fin de livre suffiront. L’évolution doit être graduelle. Le lecteur doit pouvoir suivre la progression des personnages tout au long du roman.
4 — Les événements : Ça, les légendes arthuriennes
Tous les romans traitent d’événements, de leurs causes et de leurs conséquences. Il y a cependant des romans qui se focalisent sur un schéma particulier. Un événement est au cœur de ce qui va pousser les protagonistes à agir. Quelque chose ne tourne pas rond et les personnages cherchent à revenir à une situation normale : une injustice, l’avancée du mal, de la maladie, une invasion extra-terrestre, une terre à l’agonie ou un clown qui dévore des enfants…
L’histoire commence généralement quand le personnage prend conscience du mal qui ronge le monde et qu’il se retrouve impliqué dans la solution pour le guérir. Cela se termine lorsque l’objectif est atteint ou abandonné.
Qu’en est-il de la construction des personnages de tels romans ? Cela dépend de l’auteur.
Dans son roman fantastique « Ça », Stephen King nous peint le portrait de sept personnages depuis leur enfance jusqu’à l’âge adulte au travers des relations qu’ils ont les uns envers les autres, leurs désirs, leurs peurs et le traumatisme qu’il partage. D’un autre côté, Lancelot du Lac, un personnage majeur des légendes arthuriennes, n’est décrit qu’à travers ses relations avec Arthur et Guenièvre.
Le développement poussé d’un personnage peut être un bon moyen de développer une intrigue, mais il n’est pas nécessaire et peut se limiter à une description de ce qu’ils font et pourquoi ils le font.
Tenez vos promesses
Lorsque vous commencez votre livre avec un meurtre, le lecteur lira jusqu’à savoir qui était l’assassin. Si ce meurtre s’est passé dans l’univers carcéral, il voudra tout savoir sur ce milieu qui lui est étranger. Si vous vous intéressez à la façon dont la veuve de la victime se remet du drame, il voudra savoir si elle arrive à refaire sa vie…
Vous faites une promesse implicite au lecteur en vous focalisant sur un facteur ou sur un autre. Commencer avec un facteur et finir sur un autre serait rompre cette promesse. Si vous partez sur un mystère, le lecteur considérera l’intrigue terminée quand le mystère sera résolu. Si vous enchaînez sur la reconstruction psychologique de la veuve, c’est un autre roman que vous commencez.
Bien sûr, tous ces facteurs sont présents dans chaque roman, dans chaque histoire. Il y a de nombreux événements, plusieurs intrigues et une foule de personnages dans le Seigneur des Anneaux, mais ils n’ont pas d’autres buts que de nous faire découvrir le monde de la Terre du milieu.
Si vous voulez du mystère, concentrez-vous là-dessus. Si c’est le milieu qui vous intéresse, ne passez pas trop de temps sur vos personnages. Si vous avez à cœur de développer vos personnages, ne vous emballez pas sur le milieu, etc. Vous forcer à construire des personnages détaillés et vous acquitter de cette tâche comme d’une corvée est le meilleur moyen de rendre un travail superficiel qui nuira à votre histoire.
En revanche, si vous ne prêtez pas d’attention aux motivations et aux besoins psychologiques et moraux de votre héros, ne demandez pas aux lecteurs de s’y intéresser pour vous.
« Créer des personnages complexes ne doit pas être une fin en soi, et il faut parfois s’en abstenir pour le bien du récit ».
Orson Scott Card
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Vous étiez nombreux à me l’avoir demandé et vos désirs sont pour moi des ordres 😉
Vous trouverez ci-dessous un modèle tout prêt de fiche personnage que j’ai créé à partir des « 10 composants d’un personnage de roman » et de mes autres lectures sur le sujet. Ce modèle s’appuie également sur le fond de cet article et vous propose des composants et des caractéristiques classés en fonction du facteur dominant de votre roman. Ceux dont vous pouvez vous passer et ceux sur lesquels il ne faut pas faire l’impasse.
Pour le télécharger, c’est très simple, il vous suffit de saisir votre prénom et adresse email dans le formulaire ci-dessus et de cliquer sur « Téléchargez votre modèle de personnage » (Pour ceux qui sont déjà abonné au blog, il y a un lien dans l’email que vous avez reçu pour la publication de cet article)
J’espère qu’il vous plaira. Si c’est le cas, dites-le-moi dans les commentaires.
9 Responses
Bonjour Jérôme,
Merci pour l’article complet concernant les personnages.
Pour ma part, j’ai écrit un recueil de nouvelles (une ébauche d’écriture jamais publiée), un roman qui parle de la DMD et un deuxième roman que je termine en ce moment (2è réécriture après bétâ-lecture) et je m’aperçois chaque jour de l’importance de cette construction des personnages.
Mais je n’avais jamais pensé à les construire suivant le type d »histoire que l’on écrit.
Merci pour le livre cité en référence, il me servira de guide.
A bientôt
Oui, le livre de Card est excellent, mais il n’est pas suffisant à mon sens. Je le compléterai avec l’anatomie du scénario de Truby qui donne une vision plus organique d’une intrigue et de ses protagonistes.
Pour l’instant je n’ai jamais trop travaillé en amont, que ce soit au niveau des personnages ou de leur décor. Au niveau de l’intrigue, oui, je ne peux me mettre à écrire que lorsque j’ai en tête le début et la fin, et surtout ce que l’histoire peut représenter au niveau de la psychologie des principaux personnages. Ce que j’ignore encore à ce stade c’est la réaction de mes personnages durant le déroulement du récit. Et ils me surprennent, constamment. Tel personnage dont je pensais ne plus avoir trop besoin à un moment de l’histoire réussit à s’imposer malgré moi dans le récit, et même en force. Tel personnage que je pensais utiliser de telle manière réagit d’une façon que je n’avais pas anticipée. Tel personnage dont je pensais faire un antagoniste jusqu’au bout fait montre de qualités que je n’aurais pas soupçonnées auparavant, et tel personnage que je pensais être une alliée fidèle de l’héroïne la trahira bientôt. Mon esprit créatif a des méandres que je ne soupçonnais pas.
Mon auteur préféré, Edgar Rice Burroughs, avait globalement deux types de romans, ceux relatifs au milieu, où le héros, à la personnalité relativement neutre, était le substitut de l’auteur/lecteur, et où il découvrait des environnements fantastiques, comme Une Princesse de Mars, adapté au cinéma en John Carter. C’étaient d’ailleurs des romans écrits à la première personne. Et il avait aussi des romans « études de cas » où on découvrait le protagoniste de l’extérieur, comme ses Tarzan, ou ses romans sur les indiens, écrits à la troisième personne, et où le personnage était particulièrement développé.
Interressant. Je n’ai jamais lu Burroughs, mais vous m’avez donné envie. Merci
Burroughs est un exemple fascinant d’auteur indépendant, il a réellement commencé à écrire à 35 ans passés, en 1911, après une vie composée d’échecs professionnels. Il a soumis les deux tiers de son premier texte à un magazine, « Dejah Thoris, princesse martienne ». Non seulement l’éditeur ne s’était pas offusqué de recevoir un texte non finalisé, il a encouragé Burroughs a le finir et lui a même donné des idées pour le faire. Succès retentissant chez les lecteurs. Second roman, une commande de l’éditeur, la seule commande de la vie de Burroughs finalement, un roman historique que l’éditeur finira cependant par refuser. Ce qui ne sera pas le cas du troisième roman de Burroughs, Tarzan of the Apes, avec lequel il touchera le jackpot à tous les niveaux. Burroughs y acquit une indépendance totale et sera le premier auteur à se constituer en société commerciale, à vrai dire le premier « empire multimédia » bien avant Disney finalement. Un rêve éveillé pour tout auteur indépendant ! 🙂
Encore un article très intéressant et très complet, qui tombe à pic pour moi qui entame mon premier roman de fantasy !!
Merci Jérôme !!
Merci à toi pour ce commentaire 🙂
j’aimerai bien avoir ton aide pour mes personnage si c’est possible pour toi
Bien sûr, Quelles questions te pose-tu?